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de ces Français, même un de ceux qu il plaignait, même un de
ceux qu il méprisait. Depuis le sommet de sa tête jusqu à la
pointe de ses pieds, il sentit l emprise de ses origines, tout en
grimpant à bord de la tartane comme s il allait faire un long et
lointain voyage. En fait, il savait très bien qu avec un peu de
chance, ce voyage serait terminé dans une heure environ. Une
fois la tartane mise à l eau, la sensation d être à flot lui étreignit
le cSur. L infirme avait convaincu quelques pêcheurs de Ma-
drague d aider le vieux Peyrol à conduire la tartane jusqu à
l anse qui se trouvait au-dessous de la ferme d Escampobar. Un
soleil magnifique éclaira cette courte traversée et l anse elle-
même était inondée de lumière étincelante quand ils l atteigni-
rent. Les quelques chèvres d Escampobar qui vagabondaient sur
le flanc de la colline et prétendaient se nourrir là où aucune
herbe n était visible à l Sil nu, ne levèrent même pas la tête. Une
douce brise mena la tartane, toute fraîche sous sa peinture
neuve, face à une étroite crevasse taillée dans la falaise et qui
donnait accès à un petit bassin, pas plus grand qu une mare de
village et qui se cachait au pied de la colline méridionale. C est
là que le vieux Peyrol, aidé des gens de Madrague qui avaient
leur barque avec eux, remorqua son navire, le premier qu il eût
réellement jamais possédé.
Une fois entrée là, la tartane remplit presque l étendue du
petit bassin et les pêcheurs, remontant dans leurs barques, ren-
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trèrent chez eux à l aviron. Peyrol, à force de passer l après-midi
à tirer des aussières68 à terre, pour les attacher à des rochers et
à des arbres nains, l amarra tout à fait à son idée. La tartane se
trouvait là aussi abritée des tempêtes qu une maison de la côte.
Après avoir tout assujetti à bord, et avoir serré convena-
blement les voiles  ce qui demandait du temps pour un seul
homme  Peyrol contempla son ouvrage qui donnait plutôt
l impression du repos que celle de l aventure et il en fut satis-
fait69. Bien qu il n eût aucunement l intention d abandonner sa
chambre à la ferme, il sentit que son foyer véritable, c était la
tartane et il se réjouit de la savoir dissimulée à tous les regards,
hormis peut-être à ceux des chèvres que la recherche ardue de
leur nourriture conduisait sur le versant méridional de la fa-
laise. Il s attarda à bord, il ouvrit même la porte à glissière de la
petite cabine qui avait maintenant une odeur de peinture fraî-
che et non de sang séché. Avant qu il ne se fût mis en route pour
la ferme, le soleil s était déjà déplacé au-delà de l Espagne, tout
le ciel à l ouest était jaune, tandis que du côté de l Italie il for-
mait un dais sombre où perçait çà et là l éclat des étoiles. Cathe-
rine mit une assiette sur la table, mais personne ne lui posa de
question.
Il passa désormais une grande partie de son temps à bord,
descendant de bonne heure, remontant à midi « pour manger la
soupe », et couchant à bord presque chaque soir. Il n aimait pas
laisser la tartane seule pendant plusieurs heures. Souvent, après
avoir déjà commencé à remonter vers la maison, il se retournait
pour jeter sur son petit navire un dernier regard au crépuscule
qui s épaississait et il revenait bel et bien sur ses pas. Quand
68
Cordages composés de trois à quatre torons tordus ensemble, at-
teignant de huit à trente-deux centimètres de diamètre et servant à re-
morquer ou à amarrer un navire.
69
Peyrol n est pas sans ressemblance avec Dieu qui, ayant créé la
lumière, la trouva bonne (voir Gen., I, 4).
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Michel eut été engagé comme équipage, et eut pris pour tout de
bon ses quartiers à bord, Peyrol trouva beaucoup plus facile de
passer la nuit dans la chambre en forme de lanterne qu il avait
au sommet de la maison de ferme.
Souvent, s éveillant au milieu de la nuit, il se levait pour al-
ler regarder le ciel étoilé, successivement par ses trois fenêtres
et il pensait : « Maintenant, rien au monde ne peut m empêcher
de prendre la mer en moins d une heure. » Deux hommes, en
effet, pouvaient aisément manSuvrer la tartane. Cette pensée
était pour Peyrol rassurante et juste à tous égards, car il aimait
se sentir libre et le Michel de la lagune, depuis la mort de son
chien maussade, n avait aucun lien sur terre. C était là une noble
pensée grâce à laquelle Peyrol pouvait sans peine regagner son
lit à baldaquin, et reprendre son somme.
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VIII
Juchés de travers sur la margelle du puits, dans le flam-
boiement du soleil de midi, l écumeur de mers lointaines et le
pêcheur de la lagune, qui partageaient à eux deux un fort sur-
prenant secret, avaient l air de deux hommes qui se concertent
dans l obscurité. Les premiers mots de Peyrol furent : « Alors ?
 Tout va bien, dit l autre.
 As-tu bien cadenassé la porte de la cabine ?
 Vous savez comment est le cadenas. » Peyrol ne pouvait
pas dire le contraire. C était une réponse suffisante. Elle faisait
reposer sur ses épaules toute la responsabilité de la chose et
toute sa vie il avait été habitué à se fier à l Suvre de ses propres
mains, dans la paix comme à la guerre. Pourtant, il regarda Mi-
chel d un air de doute avant de déclarer :
« Oui, mais je sais aussi comment est cet homme. »
Deux visages n auraient pu présenter plus grand contraste :
celui de Peyrol, net comme pierre sculptée, fort peu adouci par
l âge, et celui de l ancien possesseur du chien, visage hirsute,
parsemé de poils argentés et dont les traits avaient quelque
chose d incertain et l expression vague d un petit enfant. « Oui,
je connais cet homme », répéta Peyrol. Michel en resta bouche
bée : une petite ouverture ovale placée un peu de travers dans ce
visage innocent.
« Il ne se réveillera jamais », suggéra-t-il timidement.
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La commune possession d un secret d importance rappro-
chant naturellement les hommes, Peyrol condescendit à s expli-
quer : « Tu ne connais pas l épaisseur de son crâne, mais moi, je
la connais. »
Il en parlait comme s il l avait fabriqué lui-même. Michel
qui, confronté à cette déclaration catégorique, en avait oublié de
fermer la bouche, ne trouva rien à dire.
« Il respire, n est-ce pas ? demanda Peyrol.
 Oui. Après être sorti et avoir verrouillé la porte, j ai prêté
l oreille un instant et j ai cru l entendre ronfler. »
Peyrol semblait à la fois intéressé et légèrement anxieux.
« Il m a fallu monter ici et me montrer ce matin comme si
de rien n était, dit-il. L officier est ici depuis deux jours, et il au-
rait pu lui prendre fantaisie de descendre jusqu à la tartane. J ai
été inquiet toute la matinée. Le bond d une chèvre suffisait à me
faire tressaillir. Tu le vois, grimpant ici, son crâne défoncé en-
touré de bandages, et toi à sa poursuite. »
Cela sembla par trop fort à Michel qui s écria, avec un sem-
blant d indignation :
« L homme a été à moitié tué.
 On ne tue pas facilement, ne fût-ce qu à moitié, un Frère-
de-la-Côte. Il y a homme et homme. Toi, par exemple, continua
tranquillement Peyrol, tu aurais été bel et bien assommé, si
c était ta tête qui s était trouvée là. Et il y a des animaux, des
bêtes deux fois grosses comme toi, de vrais monstres qu on tue- [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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